la trebeurdinite

UN MINERAL PORTE LE NOM DE TREBEURDEN

UN MILIEU COMMUN

Les marais maritimes, lieu de la découverte, représentent un milieu banal sur  les littoraux soumis à la marée, dès lors qu’il y a une situation d’abri et des apports sédimentaires fins. Dans la partie supérieure, atteinte par la mer uniquement en grande marée, le marais est recouvert d’une végétation spécifique (les fameux prés salés de la baie du Mt St Michel, appelés schorres). Mais dans la partie inférieure, atteinte quotidiennement par la mer, il n’y a plus aucune végétation (slikke).

L’identification des deux nouveaux minéraux a été faite pour la première fois à Trébeurden, au lieu-dit Penvern, dans une vase compacte d’un ancien schorre transformé en slikke par la remontée du niveau de la mer. La couleur bleutée du sédiment correspond à la trebeurdenite, tandis que la couleur ocre correspond à la mossbauerite. La même formation géologique existe dans des sédiments plus anciens correspondant à d’anciens marais vieux de plus de 3000 ans, reconnus en sondage (22 Trébeurden, plage de Tresmeur) ou visibles par recul de la côte (50 St Jean le Thomas).

En fait, il s’agit donc d’un sédiment très banal, présent un peu partout dans le monde sur le littoral et dans les fonds marins, mais dont la caractérisation du fer n’avait jamais été réalisée jusqu’en 2010.

TROIS EN UN

Dès 1905, un chercheur russe a décrit la séquence des couleurs d’un sol-type gorgé d’eau: une couche superficielle brune comportant de la matière organique, l’humus, puis une couche minérale, plus ou moins épaisse, blanchâtre comportant des taches ocres dues aux oxydes de fer dans son état le plus oxydé, le fer ferrique des rouilles classiques, puis enfin en dessous du niveau de la nappe phréatique le gley de couleur bleutée (grisâtre en russe). Il a fallu attendre 1996 pour que la nature exacte du minéral qui est à l’origine de cette nuance bleutée soit déterminée : il s’agit d’un composé à base de fer comportant à la fois

des ions ferriques (Fe3+) et ferreux (Fe2+) qui porte le nom d’hydroxycarbonate ferreux-ferrique ou

plus communément rouille verte en raison de sa couleur. Le nom minéralogique qui lui a alors été

attribué est la fougérite puisque les premiers échantillons ont été extraits dans la forêt de Fougères (35).

Le composé chimique homologue possède des propriétés d’oxydoréduction uniques puisque,

sans en détruire la structure cristalline, il est possible de le rendre complètement ferreux ou

complètement ferrique comme l’atteste le rapport x = {[Fe3+] / ([Fe2+] + [Fe3+])} qui peut varier

continûment de 0 à 1. Néanmoins les propriétés magnétiques laissent clairement entendre qu’il

existe des domaines ordonnés dans le cristal à des valeurs précises de x soit 0, 1/3, 2/3 et 1. Les

valeurs intermédiaires de x sont dues à des mélanges de ces domaines respectifs. Par contre, les

valeurs de x mesurées sur les échantillons naturels prélevés dans les nappes phréatiques

continentales et soigneusement protégés de toute oxydation intempestive postérieure au

prélèvement se limitent au domaine [1/3, 2/3]. La fougèrite n’était connue qu’en milieu continental et associé à de l’eau douce.

Or des échantillons prélevés le 9 août 2010 dans les marais maritimes à Penvern sur la commune de Trébeurden présentent des valeurs de x plus élevées aux environs de 0,75. Cette découverte a une incidence considérable car elle montre qu’il existe de fait deux domaines distincts, [1/3, 2/3] d’une part et [2/3, 1] d’autre part. En conséquence, selon les règles édictées par la Commission de nomenclature de l’Association Internationale de Minéralogie (IMA), il existe de fait trois minéraux différents:

Le premier a conservé le nom de fougérite correspond à x = 1/3,

Le second, correspondant à  x = 2/3 a été nommé trébeurdenite par l’un des co-découvreurs (Odile GUERIN) car l’échantillon ayant permis la découverte a été extrait sur la commune de Trebeurden

Le troisième baptisé mössbauerite est totalement ferrique (x = 1). Le deuxième co-découvreur (Jean Marie Genin) lui a donné ce nom en hommage à  Rudolph Mössbauer, prix Nobel de physique en 1961, à qui l’on doit la découverte de l’effet qui porte son nom et qui est à l’origine de la méthode de spectrométrie sans laquelle l’identification de ces minéraux n’aurait jamais pu avoir lieu.

UNE APPLICATION DIRECTE PORTEUSE D’ESPOIR

La découverte des deux nouveaux minéraux, trébeurdenite et fougérite, est loin d’être anodine. Elle trouve une application majeure sur  la base des propriétés réductrices des ions ferreux qu’ils contiennent, de détruire de nombreux polluants qui se trouvent dans des états oxydés, tels que nitrate, chromate, séléniate, composés organochlorés et pesticides… Les tests effectués en laboratoire montrent que le composé à x = 1/3 (fougérite) est très efficace mais peut produire de l’ammonium (toxique). Par contre, le composé à x = 2/3 (trebeurdenite),  moins réactif, ne produit que de l’azote gazeux qui part dans l’atmosphère. En d’autres termes, pour dénitrifier les eaux continentales, responsables des marées vertes, il faut favoriser la formation de la trebeurdenite au dépend de la fougérite.  Ainsi, en ayant trouvé dans la nature la trébeurdenite, on peut espérer, par des dispositifs adéquats, apporter une solution palliative (dénitrification des eaux continentales) aboutissant à la prévention des marées vertes.

 

Jean Marie GENIN et Odile GUERIN